3 questions à Alain Boinet, fondateur de Solidarités International

Le partenariat avec le secteur privé permet de changer d’échelle
Published in the dossier of novembre 2017

Après quarante ans dans l’intervention humanitaire, quelles évolutions constatez-vous ?

Alain Boinet

On parle beaucoup de pérennisation des situations d’urgence. Derrière ce constat, nous prenons conscience de la durée de certains conflits et de leurs conséquences. Rappelez-vous l’Angola, où la guerre civile a duré vingt-sept ans ! L’Afghanistan toujours en guerre, la République démocratique du Congo (RDC) ont également vécu ou vivent des conflits très longs. Aujourd’hui, les crises sont très « inflammables », avec des situations de conflits apaisés, certes, mais qui peuvent dégénérer du jour au lendemain en guerres meurtrières. Ce qui me frappe aussi, ce sont les conséquences humanitaires du dérèglement climatique, même si le Sahel a toujours subi de grosses sécheresses. Enfin, on comprend mieux le lien entre urgence, reconstruction et développement. Les Nations unies et les institutions internationales commencent en effet à prendre conscience de l’importance de ce lien pour régler les sorties de crise.

Face à cette prise de conscience, les modes d’intervention évoluent-ils ?

Ce contexte émergent dicte les nouveaux modes d’intervention. La spécialisation et la professionnalisation progressives des organisations humanitaires améliorent la réponse de façon globale. La diversification des métiers que l’on observe au sein des organisations humanitaires est évidente. À l’origine, on voyait surtout des médecins, puis des logisticiens. S’y sont ajoutés des responsables géographiques, des coordinateurs, des administrateurs, des agronomes, des hydrauliciens… Cela fait gagner en efficacité. Les moyens à disposition évoluent, avec une aide financière humanitaire qui augmente, ce qui permet de répondre plus complètement aux besoins vitaux des populations, en lien avec d’autres acteurs. Dans les années 1980, nous pensions traiter le manque d’eau potable par l’approche éducative des populations, comme leur apprendre à faire bouillir l’eau avant de la consommer. Aujourd’hui, nous sommes mieux équipés pour fournir de l’eau potable aux populations, les sensibiliser à l’hygiène et pérenniser les installations par une gestion communautaire. Les connaissances progressent. Nous savons qu’une eau insalubre tue.

Les ONG privilégient les partenariats pluriannuels avec les entreprises… Est-ce une bonne réponse aux situations d’urgence ?

Le monde de l’humanitaire, et plus globalement celui du développement, réfléchit avant tout en termes de plus-value, d’efficacité et d’innovation pour venir en aide aux populations vulnérables en danger. La mise en oeuvre de partenariats avec les entreprises apporte des expertises qui répondent à la complexité technique. Avec la fondation Veolia, nous pouvons désormais mobiliser des unités mobiles de potabilisation de l’eau comme l’Aquaforce 500 mais aussi des géomètres. En RDC, nous travaillons sur des solutions plus structurelles destinées à lutter durablement contre les maladies hydriques. Le partenariat avec le secteur privé permet de changer d’échelle techniquement et qualitativement, d’installer des programmes dans le temps et de gérer le passage de l’urgence à la reconstruction, puis de la reconstruction au développement, en passant le relais. C’est essentiel.