La pandémie de Covid-19 et la crise économique mondiale qu'elle a déclenchée sont une occasion unique de rendre nos modèles économiques et sociaux plus résilients. Des opportunités sont à saisir, telles l’accélération de la digitalisation et l'optimisation locale – et durable – de la performance des entreprises. Rencontre.
Alvaro Pereira, Directeur des Études nationales du Département des affaires économiques de l'OCDE

Neuf mois après le début de la pandémie, quels sont les secteurs gagnants et qui sont les perdants ?
Alvaro Pereira : À bien des égards, nous sommes tous perdants. Car nous faisons face au plus grand choc économique jamais vécu et à ses répercussions lourdes sur nos revenus et nos entreprises. Il s'agit d'un choc massif de l'offre et de la demande, d'une ampleur sans précédent depuis la Grande Dépression. Certains acteurs tirent leur épingle du jeu : l'industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux, mais aussi les services numériques, comme le streaming et la cybersécurité. Les géants du commerce en ligne, comme Amazon, surfent aussi sur la hausse spectaculaire des achats sur Internet et devraient annoncer des bénéfices records.
Mais d'autres secteurs sont, et resteront, fortement impactés : c’est le cas du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration et de la culture. Sans oublier les indépendants qui, comme d'autres statuts non-salariés, ne peuvent prétendre aux aides de l'État.
Restent les utilités, moins touchées que beaucoup d'autres, même si la chute des revenus, engendrée par la crise, se traduit par une baisse de la demande.
Lors de la première vague, les employés des secteurs de l'énergie, des déchets et de l'eau ont assuré le fonctionnement des infrastructures, nous permettant de vivre sereinement le confinement à la maison. Tout le monde a alors pris conscience de l'importance de leur travail. Et en cette période de deuxième vague, ces services restent essentiels.
Régis Calmels : Complètement d’accord : certains secteurs se sont clairement développés pendant la crise. Notamment les acteurs des technologies de l'information et de la communication (TIC), dont les services de visioconférences et de webinaires sont largement utilisés – par les entreprises comme par le grand public – pendant les confinements. Parmi les utilités, Veolia renforce sa position : toutes nos parties prenantes ont parfaitement compris l'importance d'assurer la continuité des services essentiels, à la population et à nos clients confinés. Cela reste la mission première de notre secteur.
Régis Calmels, Directeur de la zone Asie de Veolia

Quelles leçons en tirer en termes de résilience des services essentiels ?
R.C. : J’en vois trois principales. Tout d'abord, l'impressionnante solidité de nos modèles économiques. Ensuite, la capacité de Veolia à engager un effort collectif reposant à la fois sur une organisation opérationnelle décentralisée et sur une forte présence locale soutenue par une coordination centralisée. Par coordination, j'entends la haute expertise du comité de crise mis en place au siège, les arbitrages en matière de santé et de sécurité et un dispositif de communication très efficace. La troisième leçon est la nécessaire accélération du déploiement de nos systèmes et solutions numériques. Cela nous permet, par exemple, de proposer des visites virtuelles de nos sites.
A.P. : Le secteur des utilités tout comme l'économie au sens large ont fait preuve d'une résilience remarquable pendant cette crise. Malgré la violence du choc et du confinement, il n'y a pas eu d'interruptions de services ou de réclamations majeures, preuve encore une fois de leur caractère essentiel. De leur côté, les gouvernements du monde entier ont amorti le choc en se montrant très proactifs et capables de prendre de bonnes décisions sur le plan économique. Autant de paramètres favorables à une reprise, même si nous devons nous préparer surle long terme à encaisser d'autres chocs : ce ne sera pas forcément une pandémie, mais mieux vaut prévenir que guérir.
Au fond, les faiblesses décelées conduisent-elles à repenser les grands enjeux contemporains et à accélérer la transition vers des sociétés plus équitables, résilientes et durables ?
A.P. : La pandémie s'annonce comme un vecteur de changement durable. Elle nous amène à repenser de nombreuses pratiques professionnelles, mais aussi nos modèles d'organisation voire la façon dont nous interagissons. Et ce changement profond de nos habitudes de travail est appelé à s'ancrer, alors même que les confinements se succèdent ou que la pandémie continue à se propager. Point positif sur le plan économique mais aussi sociétal, la formidable accélération du virage digital.
Moins de voyages, plus de travail et réunions à distance… Le numérique, déjà considéré comme une infrastructure cruciale, est aujourd'hui vital car nos communications, y compris en présentiel, en dépendent. Parti pour durer, le télétravail libère des espaces de bureaux pouvant être réaffectés en salles de réunion. Parmi les entreprises déjà converties aux solutions en ligne, bon nombre ont compris que sans investissements massifs dans la relation avec leurs clients et leurs fournisseurs, elles seront vite « à la traîne », voire disparaîtront.
R.C. : La digitalisation est effectivement un facteur clé de résilience pourla plupart des organisations. Qui plus est, la pandémie révèle aux parties prenantes de l'entreprise la nécessaire transition vers plus d’équité, d'inclusion et de durabilité. Des valeurs qui nourrissent la Raison d'être de Veolia, démarche amorcée bien avant que cette crise n’éclate, et au cœur de la culture du Groupe et de son programme stratégique « Impact 2023 ». En Asie, où notre activité est répartie à part égale entre clients publics et industriels – et où les risques sont donc mutualisés –, la crise n'impactera pas significativement la mise en œuvre de notre stratégie « Impact 2023 ».
Au contraire, pour atteindre notre objectif de transformation écologique, nous accélérons le déploiement de nos outils, processus internes et solutions numériques et intensifions la mise en place des 18 indicateurs inscrits dans la Raison d’être de Veolia – en particulier sur les émissions de GES, le recyclage des plastiques et l'accès des populations à l'eau et à l'assainissement –, permettant de mesurer notre « Performance plurielle ».
Comment les entreprises anticipent-elles les changements et trouvent-elles de nouvelles opportunités ?
R.C. : Cette crise va accoucher de nouvelles normes et pratiques. Autant d'opportunités inédites pour les entreprises ayant su faire preuve de fortes capacités d'innovation. Mieux structurées et opérationnelles sur le plan digital, elles sont armées pour développer leur agilité et leur créativité, pendant et après la crise. En sa qualité de leader mondial de la transformation écologique, Veolia est l'une d'elles.
Au plus fort de la pandémie, nous avons réussi à progresser et, notamment en Asie, à négocier des renouvellements de contrats majeurs : avec LG Lotte et Kumho en Corée du Sud et avec le gouvernement de Hong Kong sur l'usine de traitement et valorisation des boues d'épuration de la région. Parfaitement organisées, nos équipes sur le terrain sont habilitées à prendre des décisions en étroite concertation avec les autorités locales, un facteur essentiel pour nos parties prenantes.
Dans la tourmente, nos collaborateurs savent comment réagir et intervenir sur place tandis que le comité de crise assure la coordination mondiale. Pour toutes ces raisons, je suis convaincu que le contexte de crise va accélérer notre croissance, à court et à long termes.
A.P. : Nous sommes à l'aube d'une transformation majeure qui voit émerger de nouvelles opportunités business. Pendant le confinement, toutle monde s'est tourné vers les sites de vente en ligne. Nous avons modifié nos habitudes d'achat mais aussi nos interactions avec les entreprises, et même avec les gouvernements. Les changements d'usages et de pratiques commerciales seront durables, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.
« Point positif sur le plan économique mais aussi sociétal, la formidable accélération du virage digital. »
Alvaro Pereira
Quelles mesures ont permis d’éviter l’effondrement de l’économie, et comment apporter une solution viable aux répercussions de la crise ?
A.P. : La première réaction des gouvernements a été de prendre des mesures de sauvetage exceptionnelles. Qui aurait pensé que de grandes puissances comme le Royaume-Uni mettraient en place des dispositifs de chômage partiel et des programmes de maintien de l'emploi ? Et pourtant… Il fallait stopper l'hémorragie avant que la situation ne devienne incontrôlable.
Sans ces actions, nous serions aujourd'hui enlisés dans un marasme économique mais aussi social, à comptabiliser les chômeurs par millions et les défaillances d'entreprises par centaines de milliers.
Des dispositifs d'envergure – jusqu'alors impensables dans des circonstances économiques habituelles – ont été déployés, amenantles banques centrales à sortir de leur réserve : baisse des taux, injection d’argent frais dans l'économie, fourniture massive de liquidités aux banques… Des mesures adoptées à grande échelle dans le monde entier.
Après la première phase de gestion de l'urgence est venu le deuxième temps des plans de relance économique dans les différents pays, toujours en cours malgré la nouvelle vague du virus qui frappe. Une fois la pandémie derrière nous, grâce à un traitement efficace ou à un vaccin, la priorité ne sera plus aux plans de relance mais plutôt aux stratégies d'investissements publics et aux réformes nécessaires pour apporter des solutions durables à nos pays et nos sociétés. Elles viseront à réduire la probabilité de crises similaires à l'avenir. Peu de pays en sont à ce stade, mais d'ici un an ou plus, beaucoup auront entamé ce processus.
R.C. : Parmi les mesures exceptionnelles mises en place par de nombreux gouvernements, l'Union européenne s’est fortement mobilisée pour les secteurs d'avenir ; des initiatives similaires ont été prises en Chine ou encore aux États-Unis. Seules les entreprises agiles, capables d'innover et soucieuses de performances dans le respect de leurs engagements environnementaux, climatiques, sociaux et économiques, contribueront réellement à une sortie de crise pérenne.
Pour une entreprise délivrant des services essentiels, comme Veolia, quelles sont les perspectives économiques ?
A.P. : Un groupe capable de fournir des services essentiels et critiques au plus fort de la plus grande crise sanitaire et économique jamais connue sera désormais perçu différemment. Sans doute conscients de cette évolution, les décideurs politiques aussi se posent la question : « En cette phase de mesures de soutien économique, comment promouvoir une reprise plus écologique et plus durable ? ». La durabilité – dans la production d'eau et d'énergie et la gestion des déchets – figurera certainement en bonne place dans leur plan. Une entreprise comme Veolia peut saisir cette opportunité… Ou se faire distancer par des concurrents plus innovants.
R.C. : Outre la confirmation de la solidité de notre modèle actuel, la crise nous incite à optimiser encore et toujours la gestion de l’eau, de l’énergie et des déchets. La préservation des ressources mondiales est un défi majeur qui est au cœur de la Raison d’être de Veolia. Et je peux vous assurer que nous serons au rendez-vous.
« La crise nous incite à optimiser encore et toujours la gestion de l'eau, de l'énergie et des déchets. »
Régis Calmels
Comment un prestataire de services essentiels tel que Veolia devrait-il aborder 2021 et au-delà ?
A.P. : Encore une fois, si un traitement efficace ou un vaccin contre la Covid-19 est mis sur le marché rapidement, nous pouvons envisager une nette amélioration des perspectives socio-économiques. Les ménages et les entreprises reprendront confiance, la consommation et l'investissement repartiront.
Pour autant, l'entreprise doit se préparer aux deux scénarios : de nouvelles vagues de la pandémie, ou une découverte médicale permettant de reprendre une activité « normale ». Dans cette deuxième hypothèse « business as usual », l'occasion est donnée à des prestataires stratégiques comme Veolia de se demander « Quelles leçons tirer de la pandémie en termes de pratiques de travail, de télétravail, de relations avec les clients etfournisseurs ? Comment exploiter les enseignements des derniers mois pour rendre l'entreprise non seulement plus rentable, mais aussi plus durable ? ».
C'est le défi majeur et cela devrait être le principal objectif stratégique pour l'année 2021.
R.C. Je suis d'accord avec l'idée que la durabilité est plus que jamais une question centrale pour les pouvoirs publics et les entreprises, a fortiori en matière de services essentiels. Entre problèmes de mobilité et désorganisation des réunions avec les partenaires et clients potentiels, la crise a entraîné quelques complications,retardant certains de nos projets de 2020 et nous conduisant à en reporter d'autres. Mais dans le même temps, de nouvelles opportunités émergent et nous continuons d'avancer sur de nombreux points, dont nos objectifs « Impact 2023 ».
Nos très bons résultats du troisième trimestre sont la preuve que la reprise est déjà enclenchée. De fait, si la pandémie est maîtrisée en 2021, nous sommes convaincus que l'activité se rétablira rapidement. Quel que soit le timing de la reprise, nous sommes parés pour anticiper l'évolution de nos marchés. Dans ce contexte, les mots-clés qui me viennent à l'esprit pour 2021 et au-delà restent les mêmes qu'aujourd'hui : agilité, créativité et efficacité.