De nouvelles substances viennent sans cesse allonger la liste des produits dangereux pour l’environnement et la santé. Dans ce contexte, quelles voies et quelles priorités pour protéger l’environnement et continuer à promouvoir l’innovation ? Les arguments de trois acteurs clés du débat.
Maria Neira, comment l’OMS identifie-t-elle les polluants émergents et leurs effets ?
Maria Neira, directrice du département Santé publique, environnement et déterminants sociaux de la santé à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)

La force de l’OMS est de pouvoir s’appuyer sur les plus éminents scientifiques, issus des hôpitaux, des universités et des laboratoires les plus prestigieux du monde. Avec l’aide de groupes d’experts aux niveaux national, régional et global, et en collaboration avec les gouvernements et les systèmes de santé nationaux, nous assurons une mission de veille. Lorsqu’un domaine particulier exige que nous regroupions des experts, nous mettons en œuvre des programmes de recherche proactifs. À l’image de ce que nous avons fait récemment avec les perturbateurs endocriniens. Enfin, nous surveillons la littérature scientifique et les publications des chercheurs.
“Si nous ne pouvons pas mettre en prison les gens à l’origine d’une pollution, […] nous avons un poids politique et, surtout, un instrument puissant : les données scientifiques.”
Maria Neira
Quels domaines surveillez-vous particulièrement ?
Nous cherchons constamment à identifier ce qui est le plus important du point de vue de l’impact sur la santé. En ce moment, nous travaillons beaucoup sur la qualité de l’air et sur les polluants atmosphériques. Ces derniers sont responsables de 6,5 millions de morts prématurées par an et représentent une menace globale en raison de la montée de l’urbanisation. Depuis début novembre, nous avons constaté des pics graves à New Delhi, Téhéran et Londres.
Autre source de préoccupation : les résidus de l’électronique. Notre monde numérique génère d’énormes quantités de déchets qui, dans les pays où leur traitement est peu réglementé, finissent dans des décharges à ciel ouvert. Ils sont traités à la main – sans protection –, dans un air très contaminé, pour récupérer et revendre les métaux lourds qu’ils contiennent. Et puis, je l’ai dit, nous surveillons de près les perturbateurs endocriniens pour voir comment nous pourrions arrêter la multiplication des sources d’exposition qui menacent notre santé. Enfin, nous n’oublions pas les risques classiques comme la contamination de l’eau potable, les radiations ou le manque d’assainissement. L’ensemble de ces risques environnementaux cause plus de 12 millions de morts par an, que l’on pourrait éviter grâce à de bonnes politiques préventives.
De quelle façon l’OMS peut-elle influer sur la législation ?
Il faut le dire d’emblée, nous n’avons pas de moyens légaux et ne pouvons pas mettre en prison les gens à l’origine d’une pollution ! En revanche, nous avons un poids politique, et surtout un instrument puissant : les données scientifiques. Ainsi, nous contribuons à créer la demande sociale pour que les citoyens exigent un meilleur environnement pour eux-mêmes. Nous pouvons aussi suggérer des normes ainsi que des changements technologiques, par exemple le remplacement de certains carburants par d’autres, moins polluants. Nous avons conscience que les industriels font face à une réglementation et à des exigences croissantes. Nous entretenons un dialogue permanent avec eux pour comprendre leurs contraintes et tenter de les influencer, dans le bon sens du terme. Car il y a aussi des affaires à faire dans le développement durable, et tout un marché pour des processus de production propres – nombre d’industriels l’ont du reste compris, et savent que ce mouvement est irréversible.
Elizabeth Girardi-Schoen, quelle est la vision de TEVA en matière d’environnement ?
Elizabeth Girardi-Schoen, directrice de l’Environnement et du Développement durable de TEVA Laboratoires

“Environ 80 % des résidus pharmaceutiques présents dans l’environnement proviennent des médicaments ingérés par les patients […] et non du processus de production.”
Elizabeth Girardi-Schoen
Concrètement, que fait TEVA pour réduire son impact environnemental ?
Le déchet reste un déchet si vous ne pouvez pas le transformer en un produit utile à quelqu’un d’autre. Bien sûr, nous devrions toujours essayer d’en générer moins, mais le plus important est de réfléchir à la manière de le réemployer. Par exemple, nous recourons massivement aux solvants, peu réutilisables dans l’industrie pharmaceutique en raison des normes de qualité très strictes auxquelles nous sommes soumis. Or, ils peuvent se révéler très intéressants dans une autre industrie ! Au point qu’il s’agit aujourd’hui de trouver des partenaires -proposant un débouché pour ces produits sans que cela nécessite des transformations excessives. Évidemment, pour d’autres déchets comme les plastiques, le métal, le papier…, nous sommes davantage dans une logique de tri et de recyclage. D’ailleurs, il nous arrive parfois de les réutiliser nous-mêmes, en les intégrant par exemple dans la fabrication de nos emballages.
Qu’en est-il des résidus pharmaceutiques présents dans l’environnement et des nouveaux polluants comme les perturbateurs endocriniens ?
Plus de 80 % des résidus pharmaceutiques présents dans l’environnement proviennent des médicaments ingérés par les patients – pour vivre mieux et en meilleure santé –, puis éliminés naturellement (avant d’être traités par les stations d’épuration), et non du processus de production. De nombreuses études ont permis d’évaluer les impacts de ce processus et l’OMS affirme que les produits pharmaceutiques présents dans -l’environnement à l’état de traces ne sont pas nocifs pour la santé humaine. Restent cependant des incertitudes quant aux effets de certains composés sur les espèces aquatiques.
Que pensez-vous des réglementations de plus en plus strictes auxquelles l’industrie doit se conformer ?
Les normes en matière d’environnement santé et sécurité que nous appliquons vont généralement bien au-delà des exigences légales. Mais j’ajouterai que souvent les réglementations n’encouragent pas le recyclage ou d’autres formes de progrès environnemental. Par exemple, par crainte d’accidents ou de fuites, il y a une forte pression réglementaire pour traiter les déchets localement, là où ils sont produits. Or, si un pays ne dispose pas d’équipements permettant de réaliser un recyclage de qualité ou une incinération efficace du point de vue énergétique, cette pression nous oblige à franchir les frontières, ce qui engendre un coût supplémentaire en énergie et accroît les risques liés au transport de ces déchets. Ceci dit, même face à de telles difficultés réglementaires, nous essayons toujours de trouver un moyen de recycler.
Claude Laruelle, comment Veolia aide-t-il ses partenaires industriels à s’adapter à des réglementations de santé et d’environnement croissantes ?
Claude Laruelle, directeur des Entreprises de spécialité mondiale de Veolia, président de Veolia Water Technologies et membre du comité exécutif de Veolia

Par exemple, lorsque les réglementations sur l’incinération se sont durcies dans l’Union européenne, Veolia a dû adapter ses usines et développer toute une série de technologies performantes tels que des outils de mesure en sortie de cheminée, des étages de traitements supplémentaires pour capter certains polluants émergents, tout en contenant les coûts d’exploitation. Un savoir-faire de référence que nous proposons désormais à nos clients et partenaires.
Quelles technologies de pointe ont été développées par Veolia pour faire face à de nouveaux polluants ?
J’en citerai deux. Sur les perturbateurs endocriniens, nous intervenons depuis longtemps en Suisse – un pays très en avance sur ces questions. Avec la ville de Lucerne et des scientifiques locaux, dans le cadre de la protection du lac des Quatre-Cantons, nous avons travaillé à partir d’une de nos technologies existantes, « Actiflo® », à laquelle nous avons ajouté des étapes de filtration sur charbon actif. Avec au final un piégeage très efficace de ces molécules, nous disposons désormais d’un pilote industriel prometteur en fonctionnement à Lucerne.
Deuxième exemple, le mercure. Ce toxique connu de longue date opère un retour depuis quelques années car il intervient dans le processus de production des écrans – lesquels se multiplient au rythme de la croissance exponentielle du numérique – mais aussi comme élément naturel dans l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Nous avons donc développé des solutions pour le capter au niveau des incinérateurs, et nous maîtrisons désormais toute une gamme de filtres et de catalyseurs permettant de piéger et de récupérer ce métal.
“Nous bénéficions d’une particularité forte dans le domaine des pollutions difficiles.”
Claude Laruelle
Quelle stratégie faut-il selon vous adopter lorsqu’apparaissent de nouveaux polluants ?
Il faut en général procéder en trois étapes. Prenons l’exemple des perturbateurs endocriniens, qui peut s’appliquer à toutes sortes de polluants émergents tels que les résidus médicamenteux. Il faut, dans un premier temps, apprendre à les caractériser, c’est-à-dire développer des technologies de mesure qui souvent n’existent pas. Ensuite, il faut les séparer et les capter le plus en amont possible, en travaillant avec les producteurs, pour éviter qu’ils ne se diluent et deviennent beaucoup plus difficiles à récupérer. Enfin, il faut les traiter : idéalement les recycler ou, tout du moins, les neutraliser.